24 novembre 2013

Les rouages de l'Etat au cinéma


  Thierry Lhermitte dans une satire de Dominique de Villepin lorsqu'il était le flamboyant ministre français des affaires étrangères. C'est ce que vous verrez si vous aller voir le dernier film de Bertrand Tavernier, "Quai d'Orsay". L'oeuvre est une adaptation de la très bonne bande dessinée du même nom. Elle raconte l'organisation et la vie d'un cabinet ministériel au travers du regard d'un jeune collaborateur engagé pour être la plume du ministre, celui qui rédige ses discours. L'intérêt du film est là : dans la relation trouble qui unit les membres d'un cabinet à leur patron, mélange de dévotion et de terreur, d'abnégation et d'épuisement. J'ai beaucoup d'admiration pour ces jeunes hommes et jeunes femmes  qui choisissent de travailler pour un ministre ou un président de parti. Le grand public ne mesure pas à quel point le rythme est élevé dans le milieu du pouvoir : entre une réunion préparatoire à 7h30 et une conférence débat qui va prendre fin vers 22h, une visite de terrain le samedi, et un débat le dimanche, il y a de quoi y laisser sa santé et sa famille. J'en ai vu des membres de cabinet se sacrifier pour un patron parfois arrogant et méprisant. J'en ai vu des hommes politiques maltraiter leurs collaborateurs, les humiliant y compris devant le journaliste que je suis, et ces collaborateurs s'abstenant toujours de répondre. Ce film décrit très bien l'étrange admiration qui lie un membre de cabinet à son patron. 

  L'homme politique inspire, insuffle, conceptualise, tranche, dynamise, il est là pour ça. Son équipe tente de traduire en projets de loi, désamorce les crises, instruit les dossiers, prépare les notes et gère l'intendance. Bien sûr  le conseiller aura sa récompense en bout de course : un salaire souvent correct, un mandat d'administrateur pour compléter et penser à autre chose, un recasement en fin de parcours quand les choses ne se passent pas trop mal. Mais le carburant reste l'amour de la politique et de son patron, la passion de la chose publique, et on est prêt à donner beaucoup pour cela :  la pression est énorme, le volume de travail  considérable. Ce que j'ai vu dans Quai d'Orsay est un poil forcé (comme dans la BD un ouragan précède le ministre qui fait s'envoler les dossiers , et la porte claque à chaque passage, un des effets comiques du film) mais reste proche de la réalité, y compris en Belgique. Niels Arestrup en chef de cabinet à la voix douce mais à l'autorité incontestable y est remarquable. Je n'ai pas pu m'empêcher de faire l'un où l'autre parallèle avec des situations belges que j'ai pu approcher,  je tairais les noms bien sur, même si le film reste très français. Oui, un cabinet ministériel fonctionne ainsi : avec un ministre plus ou moins flamboyant qui fixe la ligne dans des moments plus ou moins inspirés, un directeur de cabinet qui dirige réellement les opérations, un chef de cabinet qui gere la tresorerie et les problemes de voiture, des cabinetards, galériens du pouvoir, qui rament, une administration qui est considérée comme un obstacle et des parlementaires qui ne sont que des faire-valoir. Oui on y trouve cette forme de violence et un brin d'érotisme dans les rapports hommes-femmes. Oui, l'action est parfois brouillonne et irrationnelle, malgré ce que les journalistes écrivent. Et oui, le cheminement qui mène à une déclaration ou à une prise de position est parfois très étonnant.

Courrez donc voir ce film.  Et si vous voulez poursuivre la réflexion procurez vous aussi l'Exercice de l'Etat avec un Olivier Gourmet en ministre des transports cannibale et Michel Blanc en chef de cabinet sacrifié volontaire. Plus sombre, moins grand public, mais tout aussi juste dans la description des machineries ministérielles. 

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