30 mai 2015

Benoit Lutgen et le retour de la morale politique

C'est un geste fort. Il est logique et cohérent. Conforme aux déclarations des derniers jours. Encore fallait-il être capable de le poser sans trembler.
Le CDH a donc décidé d'exclure la députée bruxelloise Mehinur Ozdemir. C'est ce reportage de Loic Parmentier (RTL TVI) qui a mis le feu aux poudres. On y voit l'élue fuir ostensiblement les caméras pour éviter une question prévisible sur la reconnaissance du génocide arménien. Convoquée par le comité de déontologie pour s'expliquer Mehinur Ozdemir a bien dû reconnaître qu'elle ne souhaitait pas employer ce mot là, ni devant la presse, ni devant ses pairs. Le couperet est tombé : le refus de nommer la chose n'est pas conforme à la ligne du CDH.  Injuste estime l'élue dans un communiqué. 

Formellement ce n'est pas Benoit Lutgen qui a pris la décision mais le comité de déontologie du parti humaniste, présidé par Dominique Brion. Dans la pratique on imagine bien que le président du parti ne pouvait être tenu à l'écart ni de la convocation ni de la décision finale. 
Par cette opération Benoit Lutgen renforce son image d'homme de valeurs. On ne le prendra donc pas en défaut : ayant affirmé sur la Première   qu'un élu qui niait le génocide arménien serait exclu dans les 5 minutes, il a tenu parole. Indépendamment  du jugement que l'on porte sur le fond de l'affaire c'est une bonne chose que la promesse de l'interview  soit respectée. Cela redonne du crédit à la parole politique, ce n'est pas si fréquent. 

Ayant violemment reproché à Charles Michel de ne pas tenir ses engagements de campagne Benoit Lutgen ne peut se permettre d'être pris en défaut sur ce terrain-là. On connaît des partis qui ont pourtant transigé et s'en sortent avec un communiqué alambiqué. Ce soir le CDH peut se permettre de mettre toutes les autres formations démocratiques au défi. Il a tranché sans tergiverser et montrer une voix claire que les partis n'osent emprunter en temps normal. Les gardiens de la morale partisane préfèrent souvent  tolérer les brebis égarées  en  faisant mine de regarder ailleurs : une entorse à la ligne du parti se justifie toujours quand on occupe une niche électorale. 

La décision du CDH n'allait pas de soi : avec 3098 voix aux dernières élections régionales Mehinur Ozdemir devance des personnalités comme Hamza Fassi-Fihri ou Pierre Komapny. Surtout Benoit Lutgen et les siens ont le courage d'abattre un  symbole. Celui de la première femme voilée élue dans un parlement européen. Ce n'est pas rien, et on imagine bien que dans la communauté belge-turque le traumatisme sera grand et risque de coûter plusieurs milliers de voix. Il va falloir convaincre que ce n'est pas la différence ou le foulard que l'on vise. Au sein même du CDH la sanction pourrait ne pas faire l'unanimité. Il suffit d'écouter la fin de cette interview pour s'en rendre compte. 

Le président du CDH rompt aussi avec un héritage : celui d'un parti qui sous la présidence de Joëlle Milquet considérait comme vital de s'ouvrir aux communautés non-chrétiennes. C'est le flirt avec les accommodements raisonnables, la fréquentation des églises évangéliques, l'ambiguïté consciente ou subie, qui vient d'arriver à son terme. Benoit Lutgen le wallon refuse la stratégie  d'ouverture tous azimuts que Joelle Milquet la Bruxelloise imposait à un CDH pas vraiment convaincu. Retour aux valeurs européennes. Le CDH auberge espagnole c'est terminé, tout le monde descend. Calcul politique à la clef : cette posture "morale" pourrait faire gagner plus de voix en Wallonie qu'elle n'en faire perdre à Bruxelles. 

Les journalistes vont maintenant scruter la réaction des autres partis. Au PS tout d'abord, qui a clairement un train de retard. Mais aussi au MR, au FDF et à Ecolo. Quand on considère une valeur comme essentielle elle ne peut pas s'effacer au profit de calculs électoraux. C'est vrai aujourd'hui sur le génocide. On espère que cela le sera aussi demain pour l'islamophobie, l'antisémitisme, l'homophobie ou même le machisme et les populismes de tout poil. Qu'on ne tolérera plus que des élus s'enrichissent ou cumulent sans vergogne au prétexte qu'ils apportent l'un ou l'autre siège. La politique qui ne tourne pas le dos à la morale nous redonne le moral. Choisir entre ses convictions ou la compromission, Benoit Lutgen  l'a fait. Aux autres de suivre. 




Aucun commentaire: