05 février 2017

La maltraitance des cordes

C'est un club de Jazz qui a l'avantage d'être pas loin de la maison. Il n'a pas (encore ) la réputation du Duc des Lombards, du New Morning ou du Sunset, ses homologues parisiens, mais on y boit des bières rafraîchissantes (c'est Bruxelles ) et on y écoute une programmation qui ne m'a jamais déçu. Cette semaine un violoniste (Yves Teicher)  et un pianiste (Fabian Fiorini). On y allait en mode découverte et on est resté scotché. Yves Teicher, d'abord. Sa dégaine  de "Depardieu du Jazz" cache la musicalité d'un Grappelli conjuguée à l'audace d'un Léo Ferré. Teicher déstructure, détourne, détruit, reconstruit. La virtuosité  et la vélocité d'un soliste classique, mais aussi les trémolos d'un violon tzigane et une gourmandise à tout avaler. Fabian Fiorini ensuite. Sa main gauche a les accents du ragtime, sa droite le sens du lyrisme, son sens de l'improvisation offre des harmonies d'une richesse incroyable. Les deux hommes jouent d'abord séparément. Ca bûcheronne. On cogne dur sur le clavier, on joue des dissonances sous l'archet, c'est la maltraitance des cordes. Teicher grogne comme un Keith Jarrett de mauvais poil avant de s'offrir une declamatarion magnifique sur la liberté dans le Jazz. Finalement le jazz, le punk, la liberté et la poésie c'est une seule et même révolution. Puis les deux hommes jouent ensemble. Leur virtuosité eclate. Le violon vous arrache des émotions à faire pleurer un tortionnaire de Daesh mais on n'aura jamais le temps de verser une larme. Le piano de Fiorini emporte déjà  tout comme une déferlante. Surtout les deux hommes aiment trop la musique pour la prendre au sérieux et s'installer dans la facilité. On décale, on parodie, on ironise. La truite de Schubert est définitivement envasée, les feuilles mortes sont passées au broyeur et Paganini, s'il avait assisté au concert, aurait probablement renoncé au violon. Le public (c'est nous) passe du rire au larme. Dans le registre  parodie musicale la framboise frivole prend des allures  d'aimable spectacle de collégiens. Parce qu'ici on désacralise, mais ça sonne quand même.  Avec Jean-Marie Hacquier, le critique historique de Jazz Hot (qu'il ne m'en veuille pas de préciser que l'auteur de ce blog le lisait quand il avait 20 ans) on se dit qu'on a désormais de la chance de voir les scènes de Jazz se multiplier à Bruxelles. C'était à la Jazz Station. On y est jamais déçu. 

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