12 avril 2017

Kaurismäki : que fait l'Europe des réfugiés ?



 Kaurismäki c'est un style. Une ambiance. Un humour. On adhère ou pas. De "Shadows in Paradise" à "J'ai engagé un tueur" (avec Jean-Pierre Leaud) en passant surtout par le déjanté et jouissif "Leningrad cowboys go America" l'auteur de ce blog avoue une affection particulière pour ce cinéaste finlandais, sa poésie, ses personnages largués, ses situations improbables et son humour teinté d'absurde. Dialogue minimaliste et  look vintage donnent à son œuvre un côté désuet et hors du temps, comme si le cinéma de la nouvelle vague avait croisé celui de Jacques Tati. 

Si vous devez voir "De l'autre côté de l'espoir" ce n'est pas (que) pour des questions d'esthétique cinématographique. C'est aussi parce qu'Aki Kaurismäki vient de saisir le desarroi du continent européen face à la question des réfugiés. Ce n'est pas un film coup de poing, la démonstration militante, que ce soit façon Michael Moore, Robert Guedigian ou Lucas Belvaux, n'est pas le style de la maison Kaurismäki. Et pourtant le cinéaste nous tend un miroir où nous ne pourrons nous empêcher de tiquer en contemplant notre reflet. Face à nous, un représentant de commerce qui quitte sa femme et son stock de chemises pour racheter un improbable restaurant face à un réfugié syrien qui débarque en Finlande apres un long périple par la Grèce et la Hongrie. Deux personnages fouillés, avec leurs forces et leurs petites faiblesses, leurs moments de courage, leurs renoncements et leurs fuites. La police, le centre d'accueil, les faux-papiers : le décor est bien celui de nos journaux télévisés. 

Chez Kaurismäki les personnages sont pourtant des abandonnés de leur époque. Des voitures hors du temps, des fringues pas possibles, une musique delicisieusement ringarde. Des décrochés de la société de consommation, en somme, condamnés à prendre en main leur propre destin. Le rythme lent du réalisateur accentue le contraste entre ceux qui sont "out" , mais au centre de ses films, et ceux qui sont "in" mais ne font que passer frénétiquement dans le décor. Wikhström, le représentant de commerce, et Khaled, le réfugié, sont aussi "out" l'un que l'autre. Notre empathie peut aller autant vers l'un que vers l'autre et c'est l'une des forces du scénario. 

Entre les deux hommes cela commence par un coup de poing, mais le restaurateur ouvre sa porte au réfugié. Il n'oublie pas de l'exploiter au passage, la solidarité n'excluant pas un certain intéressement. Kaurismäki n'aime pas le manichéisme. Si certains finlandais fraternisent, d'autre font la chasse aux demandeurs d'asile. Les skinheads existent et frappent. Quand le scénario se referme, on est pas certain que notre réfugié, victime d'un de leurs coups de couteaux, s'en sorte. Il y a bien face à l'afflux d'étrangers deux sortes de finlandais, comme il y a probablement  deux sortes de belges et de français. C'est cette capacité de Kaurismäki à dépeindre les deux faces d'une même pièce qui nous est précieuse. Le côté pile et le côté face. Ceux qui accueillent et ceux qui rejettent. Ceux qui aident, et en même temps en profitent. Ceux qui s'intègrent, et en même temps subissent. Ceux qui débarquent et rêvent de repartir. 

"De l'autre côté de l'espoir" nous retiendrons le décorum  du tribunal qui statue sur la demande d'asile. Le fonctionnaire de l'émigration, entouré de ses assesseurs,  y explique sans rire qu'Alep n'est pas considérée comme une zone de danger. Il égrène les articles de loi. Demande rejetée. On peut ainsi dire le droit et mépriser la justice. Le soir même la télévision finlandaise relate les bombardements qui écrasent la ville. La juxtaposition des deux scènes, sans cri, sans esbroufe, est un magnifique uppercut. Un coup de griffe du réalisateur qui justifie le film à lui seul.  De la Finlande, ou des pays nordiques en général nous gardions une image de tolérance et de pays d'accueil. L'image est en train de se ternir. C'est valable pour l'Europe toute entière. Comme si la pièce de monnaie était en train de tomber du mauvais côté. 

Aucun commentaire: