05 avril 2017

Présidentielle : le débat qui ouvre les fenêtres


Philippe Poutou : "Fillon, que des histoires... par CNEWS .

 C'est un débat dont on pouvait penser qu'il ne ferait pas recette et n'apporterait pas grand chose à la campagne. Onze candidats d'un coup, l'obligation de respecter l'équilibre des temps de parole, ce n'est pas télévisuel, pas digeste, pas sexy... et pourtant, c'est un coup de frais qui a soufflé dans nos téléviseurs.
De l'élection présidentielle nous n'avions vu que l'écume. Les stars, leurs petites phrases, les polémiques, les affaires. Macron, Fillon, Le Pen, Hamon, Mélenchon. Le débat médiatique se résumait à ces cinq candidats, dont il est vraisemblable qu'ils feront les plus gros scores. 

C'était  oublier que le débat républicain ne se résume pas à l'arène des médias. Quiquonque est dans les conditions (jouir de ses droits civiques, être de nationalité française, depuis 2011 il n'est même plus nécessaire d'avoir 24 ans) et  obtient les parrainages nécessaires peut se présenter. Dans nos téléviseurs ont donc débarqués les oubliés de la campagne. Ceux qu'on entend guère mais dont les noms figureront pourtant sur les bulletins de vote. Et le contraste est saisissant. La chemise ouverte et le débit mitraillette de Philippe Poutou, le vocabulaire très concret de Nathalie  Arthaud, l'agressivité de Nicolas Dupont-Aignant, l'accent pyrénéen rocailleux de Jean Lassalle. 

Ce qui frappait mardi soir c'était le grand décalage entre les paroles maîtrisées , formatées des 5 grands (Mélenchon compris) et les maladresses des petits. Il fallait s'accrocher pour comprendre l'accent du  béarnais. S'étonner qu'un des deux trotskistes tourne régulièrement le dos à la caméra pour consulter ses camarades. S'interroger sur les circonvolutions des candidats souverainistes. Le chroniqueur de campagne proposera de classifier les candidats  en deux nouveaux camps : ceux qui suivent des médias training et maîtrisent la TV et ceux qui débarquent sur un plateau aussi à l'aise qu'une vache parthenaise au salon de l'agriculture, dans la lumière, certes, mais pas franchement dans son élément. 

Lors de ce débat Le Pen faisait du Le Pen, Fillon du Fillon et Mélenchon faisait du Mélenchon. Parce que l'on connaît leurs personnalités, leurs codes de communication, leurs tics de langage et leur rhétorique. Poutou  était Poutou et Cheminade était Cheminade. Ceux qui ne suivent pas intensivement la politique ne se souvenaient probablement pas qu'ils étaient déjà candidats il y a 5 ans. Lassalle était absolument neuf. Cette nouveauté s'entend, et c'est l'un des rares moments où ne pas maîtriser les codes de la télévision est finalement un atout pour passer à la télévision. Un gage d'authenticité. 

Notre onze de base est donc composé d'un noyau de cinq joueurs de haut niveau complété par 6 compétiteurs de niveau amateur. Et mine de rien cela permet au débat d'être plus représentatif. La France d'aujourd'hui c'est aussi des Arthauds et des Poutous qui ne se reconnaissent pas dans la social-démocratie. Des Cheminades ou des Dupont-Aignants en  froid avec une droite trop policée pour eux. Des Lassalles qui regardent les grandes villes  avec suspicion. Qu'on les entende une fois de temps en temps reflète la diversité des positions sociales et des opinions. La campagne sentait le renfermé, elle prend un nouveau souffle. 

Au delà de leurs ambitions individuelles chacun de ces compétiteurs  se présente avec la conviction que sa candidature porte un message particulier, qui ne peut pas se résumer à celui du voisin. Passons sur la rivalité historique des courants trotskistes, dont on peut se demander si elle relève de l'anecdote, des querelles de famille, ou de l'histoire. Intéressons nous à deux grands clivages : l'Europe et l'économie de marché. Sur le front européen, Macron, Fillon, Hamon défendent une France dans l'Union Européenne. Mélenchon et Lassalle sont tièdes (il faut réformer ou sortir) les autres prônent le cavalier seul... c'est une France euro sceptique qui se dessine sous nos yeux, très loin  du discours dominant. Sur l'économie de marché même chose : Fillon et Macron la défendent. Hamon et Lassalle l'encadreraient davantage. Cheminade, Dupont-Aignant et Le Pen y greffent l'idée d'une préférence nationale. Mélenchon et les trzotkystes la combattent ouvertement. Faites les comptes : seuls deux candidats assument ouvertement le libre échange, alors que c'est notre réalité économique d'aujourd'hui. Peut-on vraiment sortir du libéralisme et embrasser un autre modèle ? Une majorité de notre onze présidentiel semble le penser. Là encore le décalage est complet avec le discours servi par la presse, les TV, les experts... 

Alors bien sûr tout le monde n'affiche pas un profil de présidentiable. On irait volontiers causer politique  autour d'une bière avec quelques uns de ces candidats. On ne leur confierait pas à tous le bouton nucléaire ni même les choix budgétaires ou le maintien de l'ordre. Il n'empêche : l'opinion ne se résume plus à 5 grands courants de pensée (la droite, l'extrême droite, le centre, la gauche et l'extrême gauche pour faire simple). Notre  société est devenue plus complexe, plus morcelée, les fossés se creusent et les partis politiques sont de plus en plus lointains et de moins en moins représentatifs. Ce que nous percevons dans cette opposition entre les grands et les petits candidats c'est aussi une opposition entre ceux qui détiennent  le pouvoir ou y aspirent, et ceux qui le subissent. Entre ceux qui connaissent les codes, et ceux qui restent en marge. Les journalistes, sondeurs, analystes et prescripteurs  d'opinion devraient y réfléchir à deux fois. 

Apres Trump et le Brexit certains d'entre eux pensent de nouveau pouvoir être sûrs que Le Pen et Macron s'imposeront au premier tour de la présidentielle.  Les plus téméraires évoquent une remontée de Fillon et une percée de Mélenchon mais sans y croire. C'est un manque d'humilité. Même si les "petits candidats" ne captaient  tous ensemble que 10% des suffrages, ces votes représentent des millions de citoyens. Et ils sont en mesure de faire pencher le résultat d'un côté ou de l'autre bien plus qu'on ne le croit. Pire encore pour nos certitudes ancrées : ces suffrages ne se reporteront pas sur un classique schéma gauche/droite mais plutôt en fonction de convictions relatives à la souveraineté (repli sur la nation ou ouverture )  ou à l'économie ( liberté du marché ou intervention de l'Etat). Il faut avoir la modestie de reconnaître qu'on a du mal à appréhender ces phénomènes en restant dans une salle de rédaction ou ne quittant pas le centre de Paris. 

La palme de l'entre soi va aux Experts de BFM. Ils ont estimé que Philippe Poutou n'était point présidentiable puisqu'il manquait de respect à François Fillon. Critiquer le recour à l'immunité pour éviter de répondre aux juges, et souligner que cette immunité n'était pas offerte au premier venu.  Il faut une proximité avec les cercles de pouvoir proche de l'aveuglement pour ne pas voir que le candidat trotskyste exprimait un sentiment d'injustice qui est aujourd'hui largement partagé. 

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