01 octobre 2017

Après la décolonisation, la lutte des classes continue

Les noirs contre les blancs. Ou plus précisément une femme noire contre des hommes blancs. C'est la toile de fond de Boatala Mindele, texte de Rémi De Vos et mise en en scène de Frederic Dussenne, à l'affiche du théâtre de poche. Une toile de fond dont le propos est bien plus politique et sociologique qu'historique. Certes, le pays est nommé : nous sommes au Congo, la décolonisation, au moins dans son versant politique, est achevée. Les européens présents viennent de Belgique, mais ils pourraient, on l'imagine, aisément être français ou anglais. Nous sommes dans une période récente, celle où les intérêts européens reculent au profit des investissements chinois. Mais ce contexte historique n'est que la carrosserie de la pièce. Une fois le capot soulevé, le moteur est une dialectique du maître et de l'esclave alimentée à la fois par les pulsions sexuelles et par la lutte des classes. 
La femme noire, jouée par Priscilla Adade, est donc Louise, domestique au service d'un couple blanc installé depuis des lustres. Lui, Ruben ( Philippe Jeusette) est arrogant et cynique, raciste et blasé. Elle, Mathilde  (magnifique Valérie Bauchau) traîne l'ennuie des femmes de coloniaux. Ruben a trouvé le moyen d'égayer son quotidien en étudiant, hilare, les comportements de nouveaux venus qui prétendent s'installer dans la culture du caoutchouc. Il faut dire que les "nouveaux blancs" (Stephane Bissot et Daniel Van Dorslaer) sont d'une bêtise crasse et que leur incompréhension du Congo permet à Ruben d'organiser des "dîners de con" qu'il pressent mémorables.
Malheureusement pour lui la grande et la petite histoire  dérapent de concert. L'activisme économique des chinois perturbe l'ordre établi. Et surtout Louise, toute domestique qu'elle soit, suscite les désirs des hommes et des femmes, et entend bien en tirer le meilleur parti. Voici un personnage féminin qui se présente soumis au départ de la pièce et se révèle parfaite manipulatrice à la fin. À l'inverse Ruben qui croyait maîtriser ses affaires et son ménage se révèle impuissant dans tous les sens du terme. Autant il paraît odieux dans sa suffisance initiale, autant la scène finale le laisse fragile et philosophe. 
L'écriture de Rémi De Vos est tendue comme un arc, mais les flèches de cupidon, sont trempées dans le poison de la cupidité et de la domination. Les personnages masculins sont veules ou pleutres. Les caractères féminins vont de la greuluche écervelée à l'allumeuse intéressée. Difficile de s'identifier. Même si l'issue n'est pas aussi tragique,  cette combinaison de la séduction et de la domination sociale,  nous fait penser  à Mademoiselle Julie de Strindberg, comme si en transposant l'action au Congo, l'auteur avait inversé les rapports et offert aux femmes l'occasion d'une revanche (chez Strindberg Mademoiselle Julie séduit un valet de ferme, elle finira par se donner la mort).  
Pour réussir ce passage du vaudeville au drame, Frederic Dussenne a imaginé un décor de huis-clos qui ajoute à l'oppression. On ressort de la pièce sonné. Le désir sexuel, les rapports hommes-femmes, la décolonisation, le regard des blancs sur les noirs et inversement, la promotion sociale : tout cela reste d'une violence brutale. La culture, l'amour et l'égalité  ? écrasés par les rapports de force. Dans le Congo de Botala Mindele l'oppression est tour à tour  sexuelle, économique et politique ... dans le monde contemporain aussi,  pour peu peu qu'on veuille le voir. 

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