17 février 2018

Requiem pour L : Fabrizio Cassol dépose Mozart dans un écrin africain


 Un plateau envahi  de formes rectangulaires noires posées à même le sol entre lesquelles chanteurs et musiciens cheminent, se posent, s’asseyent, se dressent. La référence au cimetière est explicite. C’est dans ce décor minimaliste qu’Alain Platel a déposé la mise en scène du  « Requiem pour L » qu’il cosigne avec Fabrizio Cassol (saxophoniste et membre du groupe Aka Moon). Les deux hommes ont déjà souvent collaboré et signé une oeuvre unanimement saluée où ils mariaient la musique baroque de Bach aux rythmes africains (Coup Fatal, grand succès de 2014). Ils africanisent  cette fois-ci Mozart et son  requiem inachevé. Même démarche,  même réussite. 


 C’est peu de dire que la partition de Cassol nous a enthousiasmé. La profondeurs des airs de Mozart gagne en grâce et en légèreté en s’inserant dans les rythmes dansants. Le diamant brut  monté sur une bague d’ébène s’offre une nouvelle jeunesse. Plus moderne, plus brillant, plus accessible sans doute, sans rien perdre de son éclat originel. Aux trois chanteurs « traditionnels »qui assurent les partitions  lyriques répondent des choristes/danseurs plus proches de Fêla Kuti que de l’opera de Vienne. Un guitariste, un bassiste, qui joue les chefs d’orchestre, et un batteur assurent une rythmique funk qui n’a pas du souvent résonner à la Monnaie. Un accordéoniste (magnifique) et un tuba apportent la sensibilité musicale. 

 Les airs d’Afrique et d’Europe se répondent, s’epaulent, finissent par se mélanger et les deux univers se marient parfaitement. Dans le cimetière on passe du recueillement à la conversation, de la célébration à l’exultation. Les acteurs nous tournent parfois le dos, se retournent, se rassemblent ou s’isolent, et réussissent à nous entraîner avec eux. Alain Platel a dissimulé des chemises colorées sous les costumes noirs. Tout le monde porte de hautes bottes. Les mouvements chorégraphiques sont plus sobres que dans les créations précédentes, mais Dieu, que cela sonne juste, sans excès, avec élégance. 

 Reste le fond de la scène, et le point qui fera débat. Sur toute la largeur de la salle une vidéo au ralenti retrace l’agonie d’une femme en fin de vie. Elle c’est L. Une dame âgée qui a choisit l’euthanasie et a offert à Alain Platel le droit d’utiliser la vidéo de ses derniers instants. Pendant toute la durée du requiem son visage est en gros plan derrière les musiciens. Yeux mi-clos, ouverts, fermés. Ses proches apparaissent furtivement pour caresser son visage, prendre une main, déposer un baiser. Un mélange de souffrance et de sérénité, on ne saurait dire si L souffre ou pas. L’agonie semble durer une éternité. 

 Ma consœur Nicole Debarre avait signalé son malaise sur les ondes de la Premiere, estimant se retrouver malgré elle en position de voyeurisme, guettant l’instant d’une mort dont on nous impose l’image. D’autres trouvent la vidéo essentielle. C’est bien de mort qu’il s’agit dans un requiem, et cette vidéo nous rappelle combien en Europe occidentale nous avons peu l’habitude de voir la mort  de face. Chaque spectateur réagira sans doute en fonction de son propre vécu pour cette question  par essence intime.
J’adopterai une position médiane. Je me suis demandé si un simple fond noir n’aurait pas suffit. Cela aurait sans doute retiré une partie de sa force à cette création. Une photo figée aurait été un bon compromis. J’avoue que l’usage du ralenti, qui rejoue cette mort en en accentuant la lenteur me questionne : cette vitesse lente était-elle nécessaire, ou s’agit-il de nous émouvoir encore davantage ? La question, parce qu’elle n’exclut pas une démarche obscène, n’est pas anodine. Elle ne doit pas vous distraire de ce qui se passe en aval : devant cette image, la performance est remarquable et  ce requiem  magnifique.

Requiem pour L. (Fabrizio Cassol, Alain Platel, Rodriguez Vangama) - video by Jan Bosteels from les ballets C de la B on Vimeo.

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