21 avril 2018

Lohengrin : Olivier Py souligne l’ambiguïté de Wagner et la beauté de sa partition 



 C’est une façade défigurée. De hautes fenêtres brisées qui pourraient être celles d’un bâtiment officiel (théâtre, parlement, château ou palais). On devine à travers les béances un enchevêtrement de poutrelles métalliques, de passerelles et d’escaliers de services, comme si nous entrions par effraction dans les coulisses d’un spectacle ou d’une démocratie, mais c’est peut être la même chose. Les murs de briques ont été éventrés, on imagine la toiture soufflée par une explosion. Tout est noir et blanc comme les photographies de 1945. On pense au bombardement de Dresde, à Varsovie, à la prise de Berlin. Cette façade immense occupe toute la largeur mais aussi toute la hauteur de la scène de l’opéra et nous plonge d’emblée dans le propos en commençant par la fin. Wagner et le romantisme allemand c’est aussi, au final, la puissance du pouvoir, l’affrontement, la destruction. Si on commence par le décor c’est qu’il est central, dans tous les sens du terme. Pierre-Andre Weitz (qui signe aussi les costumes) a imaginé une rotonde qui tourne sur elle-même, se divise et s’ouvre tantôt sur une salle de débat, tantôt sur une scène bucolique. Nous passons des ruines à l’alcôve, du Reichtag à la maison de poupée, divisée en 9 cases, allégorie de la culture allemande, de la place à l’échafaud. C’est vertical, impressionnant, parfaitement souligné par les lumières de Bertrand Killy et entièrement au service de la mise en scène d’Olivier Py.

 Tiens, le voilà Olivier Py. Il est sur scène pour une déclaration préalable. Une mise à distance de l’œuvre et de la démarche de Wagner. Rappelle que le compositeur n’a pas connu le nazisme, mais qu’il a bien rédigé des textes antisémites impardonnables et qu’en mettant en scène Lohengrin, Py ne monte pas un opéra nationaliste mais un opéra sur le nationalisme. À vrai dire la précision nous paraît superflue, mais puisqu’on verra des uniformes et des bottes noires, des aigles romains, des étendards, un danseur torse nu aux postures martiales et des sigles proches de la svatiska, il vaut mieux peut-être, par ces temps incertains, prévenir que guérir. Oui, Olivier Py a choisit de nous rappeler que derrière cette histoire de demi-dieu envoyé pour notre rédemption, de chevalier de lumière qui lutte contre des forces obscures, de cygnes et de sortilèges, il y a bien l’essor du romantisme allemand, la conviction que la nation allemande doit être unie et forte, qu’on puise sa force de l’appartenance à une lignée et que l’obéissance est une vertu. Même si Lohengrin c’est aussi l’affrontement du bien et du mal, celui de deux femmes (La noire Ortrud et la blanche mais un tantinet illuminée Elsa), une réflexion sur la fidélité, Lohengrin, fils de Parsifal, a quitté le moyen-âge pour l’Allemagne des années 1930. C’est assumé, explicite et magnifiquement lisible. La mise en scène apporte donc cet éclairage historique, elle ne nous privera pas du bonheur de la musique.

Il n’y a pas besoin d’être un grand musicologue pour savoir que le propos wagnérien repose sur la puissance. Sur cette montée progressive qui nous emporte, nous transporte, à la fin de chaque acte. Olivier Py a raison de souligner que toute musique de film commence chez Wagner. Indiana Jones, la Guerre des Étoiles, les grands westerns, les bandes originales de Hans Zimmer, ils ont tous quelque chose en eux  de Richard Wagner, pour autant qu’on ferme les yeux et ouvre ses oreilles. Il n’y a pas besoin d’être un grand mélomane non plus pour entendre qu’Alain Altinoglou, le chef de la Monnaie, excelle dans ce registre. On soulignera la maîtrise, la nuance et l’explosivité  exceptionelle des chœurs dirigés par Martino Faggiani et ses lunettes autour du cou. On s’extasiera sur une incarnation d’Ortrud par Elena Pankratova parfaite de roublardise, la puissance de Gabor Bretz (le roi Oiseleur) et Andrew Foster-Williams (le noir comte de Telramund). Et si le spectacle dure 4h30,c’est vrai, on ne s’ennuie pas une seconde, on se laisse guider. Et on ressort en se demandant comment une musique aussi fine a pu servir un projet politique aussi grossier.

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